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Lorsque j'étais élève de l'école des hautes études en sciences sociales, j'avais entrepris un travail sur l'impact des formes architecturales sur le cerveau d'un point de vue moteur, émotionnel et cognitif. Ce travail m'avait été inspiré d'une part, par le milieu des architectes au sein duquel j'évoluais au travers de mon mariage, d'autre part, par mes études précédentes en psychomotricité. Je m'appuie à l'époque comme je le fais encore aujourd'hui, du point de vue de la documentation et de ses analyses, sur des méthodes de travail qui m'ont été inculquées lors de mes études en hypokhâgnes.
Après un séjour à FR3 pour apprendre le métier de journaliste, j'ai décidé de continuer mes études tout en me consacrant à l'éducation de mon enfant qui venait de nous rejoindre.
En parallèle, je travaillais avec le médecin de l'opéra sur la problématique de l'anorexie mentale des danseuses, abordé d'un point de vue psychanalytique.
Régulièrement, je chantais pour mes enfants, comme ma mère, chanteuse d'opérette l'avait fait pour moi.
Mes voisins m'entendaient et me conseillaient sans arrêt de faire de la chanson mon métier. Bien qu'ayant "le coeur en chant", comme disait ma cousine, depuis ma plus tendre enfance, je n'avais jamais rêvé ni même pensé à en faire ma profession.
Cependant devant les difficultés financières de mon mari, et ne voulant pas renoncer au fait d'élever mon fils en allant retravailler à l'extérieur, y compris dans le journalisme qui pourtant me passionnait, j'ai fait le choix inverse de Mémona Hintermann à l'époque, journaliste à FR3.
Elle avait planté en moi le désir d'avoir des enfants par la manière dont elle en parlait, mais, bien qu'elle fût tiraillée entre l'envie de rester avec ses enfants et son métier, elle avait choisi de continuer à travailler. Une petite soeur et un petit frère déboulèrent durant les six années qui suivirent cette décision. Je me sentais merveilleusement en cohérence avec mon choix.
Cependant, le métier d'architecte n'est pas rose pour tout le monde. Devant la difficulté financière, je pensais sérieusement à revenir sur ce choix. Mes voisins ont tellement insisté que j'ai finalement décidé de tenter de faire ce que je faisais le plus facilement : chanter. Je finis par essayer de trouver un endroit où me produire de vingt et une heures à vingt trois heures. Finalement, ce "travail" me laisserait mes journées libres pour mes enfants.
Dès ma première audition je rencontre Mr Roland Berger, ex directeur artistique de l'Olympia qui me propose de me "former". D'accord, lui avais-je répondu, mais il faut que je puisse amener mes enfants avec moi car je n'ai pas l'argent pour les faire garder quand leur père n'est pas là. Je ne l'étonnais pas : "ah! Vous êtes toutes pareilles", me répondit-il de sa voix rauque caractérisée par son accent marqué de titi parisien, "Birkin, Pétula Clark, Vartan, il faut que vous les trimbaliez partout... Ah la névrose de l'artiste! C'est comme ça, c'est un état, on n'y peut rien. Amène-les". Une fois le pacte signé, plus d'obstacle à ce que j'aille travailler chez ce "grand Monsieur" m'avait affirmé Martine Coquatrix, directrice de l'Olympia et auprès de laquelle j'avais pris mes renseignements. C'est ainsi que, dessinant sur les murs du studio, mes enfants assistèrent en direct à toutes mes séances mais aussi à l'évolution de la situation psychique de leur mère qui en découlait. En même temps, ils intégraient les rudiments de ce métier du spectacle.
Ma route ne prendra donc pas la direction prévue. Berger voit dans ma voix et dans tout ce qu'elle transporte un matériau qui l'intéresse. Je m'intéresse plus au travail intérieur que ce formateur d'acteur, ancien médecin, passionné de psychologie, propose, qu'à une réussite extérieure me menant dans le monde des stars, quoique, je sache qu'il faudrait bien un jour concrétiser et confronter à la réalité le fruit de ce travail que je qualifie maintenant de "recherche".
Un événement particulier jaillira de ce travail : au cours d'une séance particulièrement difficile durant laquelle Berger, qui se disait phonologue, cherchait "l'émergence", il provoquera des secousses émotionnelles en exerçant une telle pression que cela fera bouger le terrain psychique. Cet ébranlement provoquera un véritable tsunami de larmes duquel sortira la voix exacte de ma mère. Cette voix que j'aimais tant me semblait inaccessible, zone interdite. Ma maman refusait catégoriquement que je lui ressemble à quelque niveau que ce soit. Elle avait ses raisons. Ses raisons étaient les raisons de ma colère et de ma honte. Cette voix était donc inscrite au plus profond de mes larmes et de mes entrailles! A la fin de la séance, Berger me demanda pourquoi je chantais, je lui ai répondu : "A travers ma voix, je réunis les voix de mon père et celle de ma mère". Maintenant, c'était évident. De cette alliance, pour qu'elle ne soit plus confusion, il fallait que ma voix à moi émerge et se construise.
Berger provoquait encore quelques secousses, mais ma voix restait blanche. Comment la teinter de mes propres couleurs? Je ne suis pas coloriste mais mes enfants faisaient beaucoup de dessein, je me suis dis que mon inconscient devait se balader dans leurs peintures, j'ai alors copié leurs desseins et leurs couleurs en écoutant les chanteuses et les musiques que j'aimais et j'ai commencé à peindre, espérant que cela se transfère sur ma voix. En outre des discussions avec mon frère peintre et sculpteur, sur la notion de tension dans le trait et sur la précision du geste, la prise de distance par rapport à son "objet" m'ont également permis de comprendre que ma voix était aussi geste, trait, volume, je mélangeais tout ça dans mes peintures, mon trait s'affirmait, je savais maintenant dessiner et je naviguais dans un océan de couleurs. Tout cela se transférait, à la grande surprise de Berger sur ma voix qui se colorait, se nuançait, s'affirmait au fur et à mesure. Je savais maintenant ce que je voulais travailler : la puissance dans la douceur. Je cherchais le calme avant tout, ce même calme qui caractérisait mon tempérament mais ne pouvait pas toujours s'imposer. Une maison de disques (tréma) me demande, du fait que j'étais l'élève de ce "grand maître", des enregistrements. J'écris quelques chansons, découvre le travail de studio et j'ai régulièrement des rendez-vous avec cette maison de disques qui attendait la chanson "phare".
C'est à ce moment qu'une soirée chez Castel, lieu incontournable et par lequel il fallait "passer" quand on entrait dans l'intelligentsia parisienne, me sera pour ainsi dire fatale. Une rencontre amoureuse se terminant en désastre remettra tout en question.
Submergée par le chaos que provoque cette rencontre, la pensée s'annula. Cet amour était impossible, de par, d'une part ma position de mère famille et d'autre par la position ambigüe que tenait cet homme au sein de l'établissement, club privé dans lequel il fallait montrer patte blanche pour avoir des droits d'entrée.
Il m'aiguilla cependant suffisamment vers les angles morts et les côtés obscurs de ce lieu, pour que je me retrouve à faire de l'investigation journalistique concernant des affaires de traites d'humains et particulièrement d'enfants au sein de ce milieu. Lui, désirait sortir de là, mais me faisait comprendre à demi-mots qu'il lui était impossible de bouger. Il jouait un double jeu dont il me fallait comprendre les règles. Je savais qu'il voulait que je capte quelque chose, mais quoi?
Partagée entre un amour maternel de plus en plus anxieux, cet amour ambivalent mais submergeant et cette peur dans laquelle cette investigation me plongeait, n'étant par ailleurs pas du tout soutenue par mon ex-mari, je devais absolument pour ne pas perdre la tête m'ancrer dans la réalité quotidienne et me concentrer sur chaque moment présent. J'analysais pour cela mon environnement et l'impact qu'il avait sur moi, m'occupais de mes enfants, de mon ménage et travaillais de plus en plus ma chanson et ma voix, ce qui ne m'empêchait pas de continuer à mener mes investigations, et à faire pour cela des allers-retours entre Paris, ce milieu que j'abordais de plus en plus prudemment et la banlieue, au sein de laquelle j'élevais mes enfants. Evidemment on ne s'occupe pas d'un tel sujet sans que les pressions voire l'oppressions et les menaces arrivent.
Un journaliste belge spécialiste de l'affaire Dutroux, Jean-Pierre de Staerke connaissait bien certaines méthodes de pression visant à rendre fou quelqu'un à discréditer. Il reconnu un réseau spécifique à travers ce que je lui racontais. Il m'avait conseillé de fuir et de bouger tout le temps mais surtout de ne pas m'isoler avec mes enfants. Lui même ayant été soumis à ces pressions, il put me dire rapidement ce qui risquait de m'arriver, quelles actions mes ennemis risquaient de mettre en place et comment pallier à la déstabilisation qu'ils cherchaient à obtenir. Je me suis alors exilée dans les Landes, ce grand désert, dans lequel j'ai pu trouver quelques oasis où me poser, dans le milieu de la compétition de surf. Les plus grands champions de surf, habitués à gérer l'état d'esprit particulier que demande la mise sous pression, me soutenaient et me conseillaient. Ils m'ont poussée à reprendre la chanson. J'ai monté une formation avec mes enfants car je n'avais plus, moi, de musiciens, et eux s'étaient mis à jouer de la guitare et à composer. Nous avons beaucoup travaillé, créé, nous nous sommes produits au sein des compétitions internationales de surf.
Au bout de quelques années, j'ai eu envie de quitter cette bulle protectrice pour me repositionner dans le monde que je devais réintégrer. Je suis retournée à Pau, cette ville que je considérais comme la ville symbolisant mon mariage oppressant, à la faculté, pour suivre un cursus en écologie Humaine.
Ce cursus me permettait de reprendre contact avec une réalité géopolitique, économique... D'une société avec laquelle il ne me restait que très peu de contact.
Dans le cadre de ces études, nous avons visité le camp d'internement de Gurs où j'entendis parler pour la première fois des femmes dites les " indésirables". Je me passionne pour leur histoire et suis particulièrement sensible aux actions qu'Hannah Arendt a pu mener au sein de ces prisonnières pour maintenir l'élégance féminine, même sous la pression. Le mot indésirable percutait dans ma tête. Combien de fois n'avais-je pas été moi aussi l'indésirable? Dès ma naissance, j'ai tellement déçu ma mère qui attendait un garçon, qu'elle tomba enceinte de mon frère un mois après. Quant à mon père, il m'a rejetée aussitôt que ma soeur est arrivée encore dix mois après. Bien sûr, mes relations amoureuses furent toutes inscrites dans ce schéma initial.
Dans ce camp d'internement, ces "indésirables" avaient monté un cabaret où elles chantaient. "Si tu as peur qu'il parte avec une autre, chante, chante" disait l'une d'entre elles à son amie. L'indésirable, je l'étais de de plus en plus car mon entourage proche ne comprenait pas ma nouvelle vie donc me disait folle et m'ostracisait. Je compris trop tard aussi que les gens auxquels je parlais, en majorité, n'étaient pas prêts à a entendre mes histoires sur le monde du spectacle au sens large et les rapports de leurs idoles avec des choses aussi horribles que celles qui touchent aux enfants. Indésirable en Amour, indésirable, indésirable... Ce mot tournait dans ma tête mais "l'indésirable" avait elle aussi monté son cabaret en exil. Elle aussi était taraudée par la peur que l'être aimé en trouve une autre. Alors, il fallait qu'elle chante, chante, chante encore et encore.
Inspirée donc par ces indésirables qui de victimes devenaient mes héroïnes, je réalisais un clip avec mes enfants mais je ne chantais pas encore. La possibilité me fut alors donnée d'aller en Israël présenter ce travail. Là, la journaliste se réveillant, je décidai d'interviewer tous ceux dont les parents avaient subi la "catastrophe".
La psychologue cherchait à capter les répercussions sur les deuxièmes troisième voire quatrième génération.
La femme cherchait à se comprendre traquant ce qui encore se cachait au plus profond d'elle, l'empêchant maintenant de chanter et de faire entendre sa voix. Lors d'un voyage à New York, dans le cadre de la présentation de notre projet lors d'un marché international du spectacle vivant dont le thème était justement l'écologie humaine, on me donne l'occasion de chanter. Je choisis la chanson Strange Fruit devant un public composé de journalistes, de musiciens et d'artistes de toutes les communautés. Cette chanson c'était un défi à relever mais elle incarnait mon désir de dépeindre l'oppression dans ce qu'elle a de plus abjecte. Cette chanson est "gonflée" et je devais l'être pour avoir le courage de m'exprimer, de m'exposer au risque d'être jugée. Ma prestation fit polémique dans tout le salon, certaines personnes pensant que je devais laisser cette chanson à la communauté noire. Bizarrement il ne s'agissait pas des noirs mais des blancs. Les noirs, au contraire avaient aimé. Je souris, mon nom de jeune fille, "Pendu" (prononcer Pen'du), voulait dire tête noire en breton, et cette chanson avait tout de même été écrite par un juif, communauté de laquelle je me rapproche de plus en plus. En outre, le mot "Pen" en hébreu veut dire tête ou visage. Mon nom prenait lors de cet événement tout son sens, la honte que j'en avais eue (la prononciation française du nom Pendu différant totalement de sa prononciation et de sa signification originales breton/hébreu) se dissipait. Je chantais "Strange fruit" qui relate la pendaison d'un noir américain, et je ne verrai plus jamais mon corps accroché au bout d'une corde à chaque fois qu'il serait mal prononcé même en public.
J'ai ensuite passé la période de confinement à Hendaye au pays Basque, pays de dynamisme, de rigueur et de construction. De l'oppression que représentait le Béarn, du désert et de l'exil qu'illustraient les Landes où je tournais en rond, j'arrivais au Pays Basque dans une terre promise, une terre d'asile. Une fois le problème du nom du père réglé, je m'occupais de la souffrance des femmes du côté de ma mère. Sa mère s'appelait Cony, c'était une italienne souffrante. Le nom Cony existe aussi au Pays Basque et veut dire "qui fait un gain et prend de la hauteur".
La période de régression que ce confinement a représentée m'a plongée dans des réflexions psychanalytiques. Je réfléchissais à ce qui pouvait bien se passer dans la société en général au cours de cette période de régression (prolifération sur les réseaux sociaux de "posts" par des personnes adultes, de photos d'elles lorsqu'elles étaient bébé, beaucoup de gens résistaient, se battaient, la connaissance augmentait, les gens "cherchaient", s'informaient, non seulement dans le domaine médical mais également dans d'autres domaines, beaucoup de choses étaient dénoncées, mais également beaucoup de groupes se créaient autour de la chanson et les gens sortaient jouer de la musique sur leurs balcons, à leur fenêtre, utilisaient les chansons pour exprimer leur désarroi, la colère, la joie aussi...). Le confinement en lui-même pouvait représenter une enveloppe de protection mais il pouvait aussi faire écho avec toutes sortes de situations d'aliénation et d'oppression, d'emprisonnement. Ma réflexion était donc nourrie. Au bout d'un an j'ai déménagé à Toulon, port de guerre certes mais aussi ville en pleine résilience où j'ai trouvé une niche protectrice me permettant de mûrir, voire de "concrétiser", au travers de diverses interviews, de créations artistiques, de la mise au point d'un spectacle avec mes enfants, mon travail de réflexion dont je vous fais aujourd'hui la synthèse.